Et si...

 

Nouvelles photographique

 

                                               Et si...

 

 

Là, c'était mon premier rendez-vous avec Marie, il y a maintenant huit ans.

A vrai dire, j'étais surexcité de la voir en vrai et non plus sur photo.

Qu'elle était belle à l'époque ! Elle était encore si jeune.

Regardes comme mon visage est détendu et souriant.

 

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Un peu plus tard, notre première soirée chez moi. Je pensais l'avoir perdue cette photo-là.

Je me souviens que j'étais un peu maladroit ! J'avais peur de l'offusquer, qu'elle ne soit pas à son aise. Mais je voulais que tout soit parfait.

En fait, en y repensant, j'ai toujours vécu dans ma petite bourgade.

J'ai quitté le cocon familial dès ma majorité et je me suis installé directement, dans cette vieille baraque qui, au fil des années, s'est imprégné de moi. J'ai toujours vécu seul, en bon célibataire endurci.

Et puis, tu as vu comme on était beaux ? Couchés ensemble sur le canapé ; Marie, allongée sur moi, et moi qui n'osais même plus bouger. Je contemplais ses yeux se fermer peu à peu, à mesure que la nuit tombait.

Tiens, je n'avais jamais remarqué qu'elle me fixait du coin de l’œil au moment de la prise.

 

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Lorsque je regardes cette image, je ressens comme un pincement au niveau de la poitrine.

Tu as vu ? On était tout en haut de la cascade ! C'était dans le sud de la France, l'année après notre rencontre.

Je me souviens que Marie avait des difficultés à grimper en haut de la colline, et d'ailleurs, je ne suis pas certain qu'elle ait gardé un bon souvenir de cette journée : elle était exténuée et ne cessait de clabauder pour tout.

Mais tu sais bien que l'aventure et moi, on ne fait qu'un et c'est pourquoi je tenais absolument à l'initier à mes péripéties.

Sa vie n'a pas toujours été rose et elle avait peu connu cette sensation de liberté.

 

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Celle-ci, je ne m'étalerai pas dessus, nous n'avions pas fait grand choses. On était en Suisse. Il faisait froid et nous n'avions qu'une seule envie, à ce moment: rentrer au chalet nous réchauffer autour d'une bonne fondue savoyarde ! Surtout moi !

 

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Regardes-la, sur la gauche, avec son petit bandage. C'était chez mes parents.

J'étais allé nous chercher de quoi grignoter à l'intérieur, dans la cuisine, et l'avais laissée avec mes cousins et le vieux labrador de mes parents, dans le jardin.

Il faisait magnifique dehors : un ciel azur, un soleil éclatant, et un début d'insolation, d'où la casquette horrible que je porte sur la tête.

Quand soudain, j'ai entendu Marie hurler dans le jardin.

J'ai couru à l'extérieur et constaté la scène : Marie, mordue par le labrador, me regardait, froissée. Quelques gouttes de sang apparaissaient, et les enfants commençaient à devenir intenables.

On avait même dû faire rentrer le molosse pour apaiser les gosses.

Ma mère, elle, avait fini par emmener Marie dans la cuisine : une dose de désinfectant, un bandage, et le tour était joué !

Elle avait eu peur ce jour là.

 

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Ce cliché-là est certainement celui qui me touche le plus.

Je n'ai pas vraiment envie d'en parler. C'est une des dernière image que je possède encore de cette période douloureuse. Elle a été prise il y a maintenant un mois.

Marie a cruellement disparu de ma vie. Elle n'est plus qu'un souvenir, une image sur un papier.

Un chauffard ivre mort l'a fauchée, un soir, sur un chemin près de chez nous.

Si tu savais comme mon cœur s'est déchiré ce soir là.

Marie et moi, on avait fini par former une petite famille.

Et puis j'ai fini par m'en vouloir de ne pas avoir eu envie de l'accompagner ce soir-là, de l'avoir laissée aller se promener seule. Peut-être aurais-je pu éviter ce drame.

 

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Elle est bien loin, à présent. Je n'ai gardé de son enterrement, que cet unique cliché.

Il y avait du monde, tu te souviens ? J'étais touché de voir qu'autant de gens comprennent ma peine et viennent me soutenir. Après huit année de vie commune...

Tiens... je n'avais pas fait attention que mon père était sur la photo, lui aussi. Il s'était caché derrière ma mère, ca ne m'étonne pas. Je reconnais son crâne chauve.

Je me sentais tellement triste de constater son indifférence.

Toute la journée, il n'avait cessé de me répéter : « je comprends ta peine mon gamin, mais après tout, ce n'était qu'un chien ! ».

 

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